A propos de "La voyeuse interdite" de Nina Bouraoui

Publié le par Yves LEMESLE

IMGP0952.JPGJ'ai eu du mal à entrer dans ce livre. J'ai même failli renoncer mais c'eut été dommage car c'est un ouvrage puissant au style incisif, fort et riche. Le ton désespéré fait penser aux poèmes de Dylan Thomas ("Dans un rot commun, elles digèrent la mort"). C'est un roman sur la soumission de la femme. Ce qui est frappant c'est qu'il s'agit de l'oppression de la femme par la femme. Il est très peu question de l'homme. Certes le mari violente son épouse et méprise ses filles. Et puis c'est pour les protéger de la concupiscence des garçons que ces filles sont enfermées dans leurs chambres. Mais ce sont les mères oublieuses de leurs propres souffrances qui contraignent leurs filles à la solitude forcée au nom de la religion et de la tradition. Ces femmes qui furent elles-mêmes des jeunes filles asservies ont une mémoire brouillée qui embellie le passé. Elles s'inventent une adolescence heureuse, des amours furtives, des parents aimants. Ce qui est terrifiant c'est qu'elles contraignent leurs filles à subir les humiliations qu'elles ont elles-mêmes subies. La narratrice, cloîtrée dans sa petite chambre, hait sa mère  qu'elle appelle "ma génitrice" voire "la coupable" ou "la criminelle" mais à l'aube de son mariage forcé avec un vieillard inconnu, elle sait déjà qu'elle reproduira exactement pour ses propres filles les mêmes "noces absurdes", la même "danse à la gloire du bourreau". La scène du mariage ressemble à des funérailles. Elle est décrite comme une danse grotesque dans laquelle "la folie et le désespoir de tout un peuple prends corps", tandis que "le parfum des fleurs  blanches, lourd et capiteux tombe" sur les épaules de l'héroïne "comme le couperet brillant d'une guillotine". La narratrice ne voit dans cette fête que le "manège du néant", des "têtes scalpées". La voiture de l'époux est décrite comme un corbillard ("le véhicule de  la mort", "l'antre métallique"). Rien ne semble pouvoir interrompre ce manège insensé. La tradition est plus forte que la révolte et la jeune fille n'a le choix qu'entre le mariage et la mort. Pourtant dans cette histoire de vie sacrifiée, il ne faut pas rater la description nostalgique d'une Alger belle et généreuse. Ces quelques pages pleines de poésie sont le seul message d'espoir de cette sombre chronique de l'oppression ordinaire.

Publié dans Littérature

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